L’an dernier sortait sur Oculus TV l’une des productions Targo (société de production documentaire basée en France). Une œuvre mémorielle à l’occasion des 20 ans des attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Un film fort et une archive exceptionnelle qui été puisé dans les ressources du web pour recomposer un passé disparu. Récompensé à Stereopsia 2021, sélectionné au SXSW 2022, retour sur SURVIVING 9/11 avec les deux fondateurs du studio Chloé Rochereuil (réalisatrice) et Victor Agulhon (producteur).
Victor Agulhon – C’est un projet sur la tragédie du 11 septembre 2001 que nous avons lancé en interne chez Targo en octobre 2001. Nous l’avons spontanément proposé à Oculus lorsque nous avons décidé de nous focaliser sur l’histoire de Genelle Guzman-McMillan, la dernière femme à avoir été sauvée des décombres du World Trade Center plus de 27 heures après l’attaque. Le film est sorti en septembre 2021 sur Oculus TV.
Chloé Rochereuil – On a souhaité baser le film sur le récit d’un-e survivant-e avant tout, un témoignage. Celui de Genelle est unique puisqu’elle a passé 27 heures sous les décombres de la tour Nord. Cette histoire englobe en fait toutes ces phases de l’attaque et de l’après. C’est une survivante qui s’exprime beaucoup dans les médias, auprès de sa communauté, en a fait un livre en 2011, “Angel in the Rubble”. C’était important qu’elle soit à l’aise avec ce sujet pour pouvoir en parler, et transmettre au public son récit.
Leur interview sur le site d’Oculus
SURVIVING 9/11 ou la reconstitution d’un passé pré-réalité virtuelle
C. R. – C’est l’image (emblématique) des deux tours jumelles avant les attaques du World Trade Center. C’est aussi le point de départ de notre documentaire. En fouillant dans les archives du web du début des années 2000, nous nous sommes rendu compte qu’il existait déjà des “virtual tour” et des photos 360 à cette époque ! Nous avons réunis près d’une centaine de panoramas 360 de New-York pris avec des appareils analogiques (une trentaine ont été utilisés dans le montage final). C’était un vrai travail d’archéologie 2.0 où il a fallu retrouver les photographes, et, à leur plus grande surprise, leur demander les droits et les fichiers sources de clichés pris il y a plus de 20 ans. Fort heureusement, la grande majorité des négatifs existaient encore. En général, chaque panorama était constitué d’une dizaine de panorama pris avec des objectifs fisheye. Tout ce matériel nous a convaincu de travailler sur une restauration de chaque photographie 360 pour redonner vie au New-York d’avant 2001. Ces photos sont une vraie opportunité de proposer un tel voyage dans le temps !
V. A. – Ces photographies n’étaient évidemment pas prévues pour être visionnées en réalité virtuelle. Elles reposent sur la technologie iPix, inventée dans les années 90, pour du visionnage 360 en ligne et qui servait à créer des visites virtuelles—c’était un peu l’ancêtre de Google Street View. On réutilise ces formats pour la VR d’aujourd’hui, leur donner une seconde vie, ça a quelque chose de magique.
C. R. – C’est aussi une image qui correspond à la première partie du documentaire, avec l’arrivée à New-York de l’héroïne du documentaire Genelle Guzman-McMillan, alors fraîchement immigrée de Trinité et Tobago. Pour elle, le World Trade Center représente un symbole, celui de l’American dream, de la puissance culturelle, économique des Etats-Unis. C’est une incarnation de son rêve d’immigrer dans ce pays. On déambule avec elle dans ce New York de la fin des années 1990 jusqu’à arriver devant les tours jumelles.
V. A. – Un des enjeux du documentaire, c’était non seulement de présenter des images de New York dans les années 90, mais surtout de les montrer à une qualité qui réponde aux exigences des casques VR de 2021/22. Il y a eu un énorme travail pour nous, d’indexation de toutes ces photos (170 au total). Nous en avons retenu une vingtaine dans le film – celles dont on avait les négatifs et qui étaient de meilleure qualité. On a ensuite fait un long travail en R&D pour les restaurer en réalité virtuelle. Une fois scannées, nous avons enlevé toutes les imperfections des images, reconstruit les parties manquantes lorsque les panoramas n’étaient pas complets. Enfin, le plus fastidieux était la conversion de l’ensemble en 3D, avec un processus extrêmement minutieux qui consiste à détourer tous les éléments individuels dans les photos pour les spatialiser et obtenir un vrai contenu VR – en stéréoscopie en 8K – et finalement animé avec des vidéos d’archives de l’époque.
V. A. – L’enjeu pour nous c’était de créer des cinémagraphes, des images avec des petits mouvements pour donner une impression de temps suspendu. Typiquement, sur cette photo c’est la fontaine près du World Trade Center, animée grâce à une vidéo filmée sur place : les panneaux flottent au vent, les arbres et les nuages bougent. C’est un vrai travail d’animation, qui consiste à redonner vie à l’environnement.
Recréer des souvenirs en 3D
C. R. – Le 11 Septembre 2001, Genelle arrive dans son bureau du 64eme étage de la Tour Nord et s’installe à son poste de travail, comme tous les jours depuis qu’elle a décroché ce job à la Port Authority de New York quelques semaines auparavant. L’ordinateur s’allume puis un gros boum retentit. Cette image, c’est le moment où Genelle voit des papiers qui tombent à travers les fenêtres et où elle commence à comprendre que quelque chose ne va pas. Dans cette séquence, on s’immerge vraiment dans ses souvenirs pendant l’attaque du 11-Septembre. Nous avons beaucoup réfléchi à la manière de représenter ces moments si particuliers. On s’est posé la question de certaines séquences en animation, mais nous voulions rester dans l’ADN réaliste du reste du documentaire. En se basant sur son témoignage et des milliers d’archives, nous avons reconstitué les lieux pour créer ces images en pré-rendu 3D. Elles s’affichent à 180° devant le spectateur, avec un halo flou sur les bords pour figurer le thème du souvenir et limiter l’immersion.
V. A. – Quand on parle du 11-Septembre 2001 en réalité virtuelle, il y un vrai enjeu à ne pas faire revivre un événement traumatique directement. Cette image représente bien l’idée de mettre de la distance entre le récit et le spectateur. On utilise un halo lumineux pour bien délimiter le souvenir. C’est une illustration de ce qu’elle a vécu, tout en restant fidèle à notre volonté de coller au réel, à la vérité historique.
V. A. – Là-aussi, il y a un énorme travail de recherches dans les archives, les médias par rapport à la situation de Genelle, sa tour, son étage. On a utilisé les plans de l’époque de la New York Port Authority (i.e. son employeur à l’époque) pour que tout soit aux bonnes dimensions ! Il s’agit de reconstruction en 3D, toujours sur cette idée de cinémagraphes en animant une partie du décor, mais pas les personnages. Ces papiers qui volent, c’est un vrai atout visuel mais surtout un souvenir très vif pour Genelle – un détail iconoclaste de cette tragédie.
C. R. – Les papiers qui flottent dans l’air c’est une image que tout le monde a vu de l’extérieur. Nous voulions la montrer depuis l’intérieur pour rendre concret le témoignage de Genelle. C’est l’image dont nous parle souvent le public après avoir vu le film, et tous sont unanimes sur le fait que le documentaire parle du sujet de façon juste. L’enjeu pour nous était vraiment de trouver cet équilibre pour documenter tout en restant dans la pudeur et le respect.
Dans les décombres du 11-Septembre
C. R. – Quand la tour s’effondre, Genelle est dans les escaliers de la tour Nord alors qu’elle tente de s’enfuir puis elle se retrouve coincée sous les décombres. C’est un moment compliqué à restituer parce qu’il n’existe pas vraiment d’images sous les décombres de Ground Zero . On a dû se baser essentiellement sur les souvenirs de Genelle qui évoquait des matériaux, des odeurs et des sensations qui suggérait une certaine configuration de l’espace dans lequel elle s’est retrouvée coincée. C’est peut être le visuel qui est le plus interprété dans le documentaire, même si nous avons essayé de coller au maximum au réel en scannant en 3D les artefacts (poutres, matériaux, morceaux de béton, de verre…) de Ground Zero exposés au Mémorial à New York. .
C. R. – Le challenge était de proposer une reconstitution 3D qui explique simplement le contexte. On voit un rayon de soleil qui transperce des mètres et des mètres de débris pour évoquer la surface de Ground Zero et le moment où Genelle a été retrouvée par un chien et extraite des décombres par les sauveteurs 27 heures après l’effondrement de sa tour.
V. A. – Un aspect documentaire important ici, c’est que le film est découpé en trois parties Avant / Pendant / Après, et chaque moment est illustré par une technologie différente. Avant les attaques, on capte l’énergie de la ville, on reste fidèle aux images d’archives. Sur le souvenir des attaques, c’est un sujet qui était beaucoup plus sensible, sur lequel il nous fallait un contrôle créatif et visuel total. On a voulu un contenu, si ce n’est agréable, au moins respectueux de ce qu’il s’est passé. La seule manière d’y arriver véritablement, c’était de faire de la reconstruction 3D – sans utiliser de photographies de ces instants-là. Enfin la troisième partie, on suit Genelle qui revient sur les lieux à Ground Zero, et la connexion avec elle est beaucoup plus forte. On se tient vraiment à côté d’elle, en vidéo 360 classique.
Ground Zero VR
V. A. – Cette image 360 reprend tous les principes de ce qu’on s’est dit avant (voir image 1). Sauf qu’évidemment, sur Ground Zero, on avait trouvé des photos 360, mais prises de à distance et ne rendaient pas compte de l’ampleur de la tragédie. Cette photo précise est donc une création à partir de 300 images du lieu, prises par des photographes traditionnels de la FEMA – Federal Emergency Management Agency aux Etats-Unis, qui intervient sur les désastres écologiques et humanitaires. Cette agence a fortement documenté le 11-Septembre avec des milliers de prises de vue. Nous avons sélectionné les photos qui avaient le plus grand angle pour reconstituer bout à bout cette perspective. C’est un point de vue très important dans l’histoire, pour le spectateur et pour Genelle, pour remettre en perspective l’ampleur du drame mais aussi le miracle du sauvetage de cette femme.
L’après 11-Septembre : une survie
C. R. – La troisième partie du documentaire est entièrement en prise de vue réelle. On retrouve Genelle 20 ans plus tard dans sa vie, en 2021. Nous l’avons suivi dans sa vie pour comprendre son quotidien et son trauma mais aussi pendant son premier retour au mémorial de Ground Zero. C’est une séquence pleine d’émotions, où l’on se connecte vraiment avec le personnage. Sur cette image, Genelle fait face à la piscine qui symbolise le marquage de sa tour, elle regarde le nom de ses collègues disparus.
V. A. – Tourner en réalité virtuelle, en direct, c’est aussi s’imposer des limites. On ne sait pas comment elle va réagir. Par ailleurs, c’est un environnement où il était difficile de cacher l’équipe, d’organiser la production en conséquence. On s’est caché dans la foule ! Il y a un équilibre à trouver entre ces impératifs et la liberté à imposer à Genelle. A la fin du film, on doit rester focalisé sur elle.
C. R. – Je pense que paradoxalement aussi, la caméra VR est à la fois un problème et aussi un énorme avantage parce qu’on n’est pas avec une grosse équipe de télé avec de la lumière, un preneur de son, un perchiste, une caméra sur un trépied, etc. On garde une forme de simplicité, d’intimité avec notre protagoniste principale.
La diffusion de SURVIVING 9/11
V. A. – Les retours des spectateurs sont excellents ; on bénéficie aussi d’un sujet fort, à impact, avec un public essentiellement américain qui a vécu ce drame de près (et pour certains à New-York en 2001). Sur un autre aspect, beaucoup dans l’industrie immersive considèrent que la VR doit forcément être interactive, gamifiée. Pour nous, il y a une vraie place pour le documentaire linéaire, la narration et un travail de journalistes. Il y a encore beaucoup d’éducation à faire sur ce point, notamment lorsqu’on diffuse sur les plateformes. SURVIVING 9/11, c’est 1.5 million de visionnage en six mois, avec des durées moyennes de vues bien plus importantes que sur les autres plateformes (réseaux sociaux, Youtube…). La qualité des images s’améliore aussi chaque année, et Meta en est conscient pour améliorer l’encodage et la diffusion des contenus. SURVIVING 9/11, c’est le maximum de ce qu’on peut proposer aujourd’hui, mais on pourra livrer le film dans une qualité supérieure si le matériel s’améliore. Cela permet au spectateur de s’intéresser avant tout au contenu, et non plus à la technologie.
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